L’été où j’ai découvert l’IA

J’ai fait une version audio de cet article. Ça se trouve ici. (12 min.)

1. Le tremblement de terre

Nous sommes en automne 2022. Je me tiens devant un groupe d’enseignantes du primaire. C’est la deuxième fois que je les rencontre, cette saison. Ce qu’elles ignorent, c’est qu’un tremblement de terre a eu lieu pendant l’intervalle entre nos deux sessions. Un séisme dont l’impact résonnera longtemps dans le domaine de l’éducation. Peu de temps auparavant, OpenAI avait lancé ChatGPT. Devant ces enseignantes, je lance le navigateur et ouvre la page de ChatGPT. Aucune d’elles n’en a encore entendu parler. Face à leur curiosité, je sollicite l’assistant : « Aide-moi à élaborer une leçon sur les adjectifs. Propose-moi des idées d’exemples adaptés pour des élèves de 10 ans. Je recherche des activités qui les rendent acteurs de leur apprentissage. »

Je n’ai pas gardé de traces de ce moment, de cette requête précise devant elle. Mais vous imaginez bien le genre de réponse que j’ai eu. Comme s’il y avait quelqu’un derrière l’écran. Prêt à avoir des idées et impatient de vouloir nous les partager. 

Je peux vous assurer que j’avais capté leur attention. Bien que l’ampleur des changements que cette technologie pourrait induire en éducation demeurât incertaine pour nous tous, une intuition palpable s’empara du groupe : nous étions face à une puissance créative inégalée, impossible à négliger dans notre domaine, l’éducation.

2. L’inquiétude passe

Quelques semaines se sont écoulées et la nouvelle s’est propagée. Tout le monde avait désormais essayé ChatGPT. Nombre d’enseignants, après une première panique, ont compris que l’intelligence artificielle était parfois sujette à ce que l’on nomme, en termes d’IA, des “hallucinations”. C’est lorsque le robot dialogue avec assurance, mais se trompe. Quand il invente un fait plutôt que d’admettre son ignorance. Il est aisé d’être dupé par un texte rempli d’informations énoncées avec tant d’assurance qu’elles semblent vraies. Il fallait donc rester sur ses gardes face à ses réponses. Mais cette réalisation a rassuré beaucoup : les enseignants auront toujours leur place.

Il est prudent de ne pas sous-estimer une technologie en raison de ses lacunes temporaires. Elle a cette capacité de combler ses manquements et de rectifier ses erreurs. Ainsi, le fait que l’intelligence artificielle présente de nombreuses “hallucinations” ne constituait pas, à mes yeux, une raison de la rejeter. J’avais l’intuition que ces imperfections seraient éphémères. Il était évident qu’on n’avait pas encore les moyens de l’utiliser correctement ; qu’on ne faisait pas les bonnes requêtes. Et puis, ChatGPT version 4 a fait son apparition.

3. Le jour et la nuit

Les ingénieurs de Microsoft ayant eu accès à GPT-4 avant son déploiement ont dû faire preuve d’ingéniosité. Étant donné que ces modèles de langage sont entraînés sur une grande majorité des contenus disponibles sur Internet, ils devaient poser des questions singulières, qui n’avaient probablement jamais été posées en ligne, afin de tester véritablement les capacités du modèle.

Des questions comme : J’ai un livre, 9 œufs, un ordinateur portable, une bouteille et un clou. S’il te plait, dis-moi comment les empiler pour que la pile soit stable.


ChatGPT-3 : Une manière possible d’empiler les objets. Placez la bouteille sur une surface plate. Équilibrez soigneusement le clou sur le dessus de la bouteille. Placez les œufs sur le clou.

On voit bien que pour écrire ça, il faut faire complètement abstraction des lois de la physique. 

Même question, avec ChatGPT-4: Une manière possible d’empiler les objets les uns sur les autres de manière stable est de placer le livre à plat sur une surface de niveau, comme une table ou un sol. Le livre servira de base à la pile et offrira un support large et solide. Disposez les 9 œufs en carré 3×3 sur le livre, en laissant un peu d’espace entre eux. Les œufs formeront une deuxième couche et répartiront le poids de manière égale. Posez l’ordinateur portable sur les œufs, puis la bouteille, puis le clou sur le bouchon de la bouteille, l’extrémité pointue du clou vers le haut.

Écoutez un extrait de l’émission This American Life qui raconte cette anecdote (en anglais).

4. Ethan de Wharton

Ethan Molick enseigne à l’Université Wharton, formant ses étudiants à la création d’entreprises et à la rédaction de plans d’affaires. Avant même l’émergence de ChatGPT, il les incitait déjà à exploiter l’intelligence artificielle. Cependant, comme moi, son approche pédagogique a été chamboulée lorsque ChatGPT a été rendu public. Il a commencé à inciter ses étudiants à “tricher” avec l’IA, les exhortant à pousser ses capacités au maximum.
Loin d’encourager la paresse, cette stratégie visait en réalité à stimuler leur ambition. D’ailleurs, pour les curieux, je vous renvoie à son blogue, qui est passionnant. Forts de ces outils puissants, ses étudiants se voient désormais assigner des tâches colossales. Non seulement ils doivent faire un plan d’affaires en quelques mois, mais ils doivent aussi avoir un site Internet, avoir une liste d’idées de projets futurs, un plan d’affaires sur 10 ans, une campagne de pub etc., etc. Ses élèves sont maintenant tenus à tenter l’impossible.

5. Gabriel

Gabriel est le cadet de mes trois fils. Pour des motifs trop longs à aborder ici, je lui fais maintenant l’école à la maison. À presque 17 ans, c’est le candidat idéal pour expérimenter mes interactions avec l’intelligence artificielle.

Voici la requête que je fais à ChatGPT-4:

Tu es un tuteur sympathique et serviable. Ton travail consiste à expliquer un concept à l’utilisateur de manière claire et directe, à lui donner une analogie et un exemple du concept, et à vérifier sa compréhension. Assure-toi que ton explication soit aussi simple que possible sans sacrifier la précision ou le détail. Avant de fournir l’explication, recueille des informations sur son niveau d’apprentissage, ses connaissances existantes et ses intérêts. Commence par te présenter et informe l’utilisateur que tu vas lui poser quelques questions qui t’aideront à l’aider ou à personnaliser ta réponse, puis pose 4 questions. Ne numérote pas les questions pour l’utilisateur. Attends que l’utilisateur réponde avant de passer à la question suivante. Question 1 : Demande à l’utilisateur de te parler de son niveau d’apprentissage (est-il au secondaire, au CÉGEP, à l’université ou un professionnel). Attends que l’utilisateur réponde. Question 2 : Demande à l’utilisateur quel sujet ou concept il aimerait que tu expliques. Question 3 : Demande à l’utilisateur pourquoi ce sujet a suscité son intérêt. Attends que l’utilisateur réponde. Question 4 : Demande à l’utilisateur ce qu’il sait déjà sur le sujet. Attends que l’utilisateur réponde. En utilisant les informations que tu as recueillies, fournis à l’utilisateur une explication claire et simple en deux paragraphes sur le sujet, deux exemples et une analogie. Ne suppose pas la connaissance de concepts connexes, de connaissances de domaine ou de jargon. Tiens compte de ce que tu sais maintenant sur l’utilisateur pour personnaliser ton explication. Une fois que tu as fourni l’explication, les exemples et l’analogie, pose à l’utilisateur 2 ou 3 questions (une à la fois) pour t’assurer qu’il comprend le sujet. Les questions doivent commencer par le sujet général. Pense étape par étape et réfléchis à chaque réponse. Termine la conversation en demandant à l’utilisateur d’expliquer le sujet dans ses propres mots et de te donner un exemple. Si l’explication de l’utilisateur n’est pas tout à fait exacte ou détaillée, tu peux poser à nouveau la question ou aider l’utilisateur à améliorer son explication en lui donnant des conseils utiles. C’est important car la compréhension peut être démontrée en générant sa propre explication. Termine sur une note positive et dis à l’utilisateur qu’il peut revenir sur cette invitation pour approfondir ses connaissances.

Mon fils a entamé une discussion avec l’IA sans connaître grand-chose à propos du concept dont il était question. « Pas grave, je vais t’aider », lui a-t-elle répondu. L’IA lui a fourni des exemples et a sondé ses connaissances antérieures. Après cet échange, il avait compris le concept et il pouvait le résumer dans un court paragraphe. J’avais des frissons : ChatGPT s’était révélé être un professeur exceptionnel, et Gabriel venait de comprendre pourquoi les particules s’agitent sous l’effet de la chaleur.

6. Le grimoire

Une simple requête de 300 mots a déclenché cet échange fascinant entre un enfant et une machine. Que pouvons-nous accomplir d’autre? Ethan Molick suggère que les enseignants collaborent pour partager ces “formules magiques”, les consignant dans des “grimoires” pour une diffusion libre et généreuse. Je partage cette vision et j’ai entamé la rédaction de mon propre grimoire, compilant ces formules pour engager nos élèves dans un dialogue avec la technologie.

J’aborderai la façon d’implémenter cela en classe pour tous les élèves dans un prochain article. Mais brièvement, je peux vous dire tout de suite que ça me semble une voie pédagogique intéressante que de laisser nos élèves dialoguer avec cette intelligence impressionnante. Et la mission de rassembler leurs réflexions, pour évaluer leur compréhension, n’est pas si ardue parce que tout se partage par liens
Je classe actuellement les formules en fonction des besoins des élèves et des enseignants : requête pour préparer des cours, élaborer des questions à partir d’un texte, concevoir des quiz, générer des exemples, fournir des explications. Imaginez l’intelligence artificielle comme tutrice, coach ou mentor. Pensez à une réflexion sur une œuvre littéraire, une analyse de ce qui a été assimilé d’un cours ou même une évaluation de présentation orale grâce à l’audio. J’ai été tellement absorbé par ces idées cet été que j’ai eu du mal à décrocher. Chaque semaine amenait une nouveauté que j’étais curieux d’essayer.

7. Un conseil

Un conseil en terminant: vous l’aurez compris, il y a une grande différence entre la version 3.5 et la version 4 De ChatGPT. Si vous souhaitez essayer cette dernière sans débourser, c’est faisable via le moteur de recherche Bing, sous la section “Conversation”. Optez pour la version “créative” plutôt que “équilibrée” ; elle vous donne accès gratuitement à ChatGPT 4. N’oubliez pas de vous connecter avec un compte Microsoft personnel – les comptes scolaires ne sont pas encore autorisés. 

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